Accueillir ses émotions

Par Claire le 23/01/2024 dans Prise de conscience

Mis à jour le 23/01/2024

Les crises écologiques ne sont malheureusement pas derrière nous. Nous allons encore devoir faire face à la fois aux répercussions des dérèglements climatiques et de biodiversité mais aussi au constat que l’action est loin d’être au niveau nécessaire pour les enrayer. Nos esprits risquent donc de continuer à être mis à rude épreuve et cela va s’accompagner de ressentis, émotions, pensées désagréables ou douloureuses.

La tentation d’éviter notre vécu interne douloureux

Face à ces vécus internes douloureux, nous pouvons adopter des comportements visant à éviter, à les écarter, à les oublier. Cela peut se faire en se distrayant l’esprit, en évitant toute stimulation pouvant les réveiller ou en consommant des aliments, de l’alcool ou diverses substances. Souvent aussi, notre part cognitive vient à la rescousse : nous rationalisons, nous minimisons, nous cherchons des solutions, nous cherchons “à faire” des choses, nous luttons contre ces ressentis en nous encourageant ou en nous traitant de tous les noms.

Ces diverses techniques que nous mettons en œuvre consciemment ou non sont souvent efficaces à court terme pour ne plus être en contact avec notre souffrance écologique. En revanche, elles ont un effet limité dans le temps et nous devons dépenser beaucoup d’énergie psychique pour les entretenir afin que leur effet se prolonge.

Il peut aussi y avoir un effet “cocotte-minute”. En effet, si on peut choisir d’écouter les émotions, on ne peut pas choisir de les avoir ou non. Les émotions se créent en réaction à ce que nous vivons, sans qu’on le décide. D’un point de vue évolutif, elles sont là pour mobiliser notre corps de façon adaptée à ce que vous vivons, pour remplir un besoin. Une émotion qui n’est pas accueillie ne disparaîtra pas, elle sera simplement non-entendue. Elle continuera à s’alimenter, à vouloir se faire entendre ce qui pourra amener à une explosion (de rage, de crise d’angoisse, de pleurs, etc.) ou à ce qu’elle s’exprime d’une autre manière comme par des somatisations.

Si vous vous reconnaissez dans ces évitements, ne vous blâmez surtout pas ! Cette tendance à ne pas écouter nos émotions est en effet valorisée dans notre société. Nous baignons dedans en quelque sorte. C’est le cas à l’école (il ne faut pas perturber), au travail (il faut être professionnel et ne pas montrer ses émotions). Mais cela fait aussi souvent partie de notre éducation où toute ou partie de nos émotions ont parfois été bridées par des parents n’étant eux-mêmes pas éduqués aux émotions, ne sachant pas quoi en faire et étant mal à l’aise face à elles.

S’ouvrir et faire de la place aux émotions

Que faire alors, quand on est confronté à des émotions qui nous font souffrir et qui reviennent régulièrement ?

De manière contre-intuitive et à l’inverse de ce qu’on nous a appris à faire, pour être moins submergés par nos émotions, pour limiter les risques d’explosion, plutôt que d’éviter de les ressentir, on peut apprendre à s’y ouvrir, à les accueillir, à leur faire de la place. Voici les étapes que l’on peut suivre.

Etape 1 : Se relier à notre corps pour ressentir l’émotion

Dans cette étape, nous allons chercher à nous mettre au contact des émotions en laissant notre part cognitive de côté car comprendre n’est pas ressentir.

On a vu que les émotions ont pour objectif de mobiliser notre corps pour répondre à un besoin qui a été perçu, éventuellement inconsciemment. Elles se manifestent donc toujours dans le corps à l’aide de différentes sensations (boule au ventre, gorge nouée, etc.). Être attentifs à ces sensations internes peut demander un peu d’entrainement au début. La méditation de pleine conscience peut aider à cet apprentissage.

Etape 2 : Faire de la place et se laisser traverser par nos émotions désagréables

Cette étape consiste à apprendre à “accueillir” nos émotions, celles qui sont agréables mais aussi celles qui sont désagréables.

Il s’agit, petit à petit, de ne plus ni les éviter, ni lutter contre. Et, au lieu de cela, de les autoriser à être là en les observant simplement. Il faut savoir qu’une émotion est comme une vague qui passe. Si elle est juste observée, si on ne résiste pas, si elle n’est pas alimentée par des pensées qui se sur-ajoutent, cela ne dure pas au-delà de une à deux minutes.

Pour cela, on peut chercher en premier à se relaxer pour ne pas résister, respirer doucement par le ventre.

Ensuite, remarquer et laisser passer, s’en s’y accrocher, tout ce qui survient à l’intérieur de soi. Il peut s’agir, par exemple, de l’anxiété à l’idée de vivre l’émotion, c’est-à-dire quelque chose en lien avec ce qu’on est en train de vivre ou que l’on pense qu’on va vivre juste après. Mais il y aura aussi souvent des choses qui appartiennent au passé (souvenir, regret) ou au futur (pensées anticipatoires, images projetées, envie d’avoir tel comportement, etc.). Pour cela, on peut nommer ce qu’on observe : “Tiens, j’ai tel souvenir qui revient”, “J’ai le ventre qui se noue quand je pense à l’avenir de mes enfants”, etc. Puis revenir à l’observation interne.

L’apaisement peut arriver mais il ne doit pas être recherché à tout prix. Il doit plutôt être envisagé comme la cerise sur le gâteau. En effet, rechercher l’apaisement à tout prix peut en réalité se révéler être une peur de la peur sur laquelle il faudra travailler.

Si l’émotion est trop intense, on peut pratiquer un mouvement de balancier en alternant le contact avec les émotions désagréables et le contact avec des choses agréables (par exemple, caresser notre bras, repenser à des moments agréables d’échanges avec des proches, regarder par la fenêtre un arbre dont les feuilles bougent avec le vent, regarder une photo d’un souvenir agréable, etc.)

Se décoller de ses pensées

Dans la précédente partie, nous parlions des émotions et de tout ce qui les accompagne. Ici, nous nous intéressons aux pensées. Nous avons séparé ces deux parties pour plus de clarté mais, en réalité, les étapes “S’ouvrir et faire de la place aux émotions” et “Se décoller de ses pensées” sont entremêlées.

En plus du ressenti corporel, les émotions s’accompagnent toujours de pensées, de mots qui commentent ce qu’on est en train de vivre dans l’instant mais aussi de pensées liées au passé ou au futur. Le flot de pensées peut être incessant et prendre la forme de ruminations. Et ces mots ajoutent souvent de la peur à la peur ou de la tristesse à la tristesse.

La première étape est d’observer nos pensées pour ce qu’elles sont : ce sont juste des pensées.

Pour nous aider à faire cela et bien prendre conscience que cela n’est qu’une pensée, on peut utiliser une technique issue de la thérapie ACT : “J’observe que j’ai la pensée…”. Par exemple, si je me dis “C’est sûr, le monde de demain sera terrible”, on peut observer qu’on a cette pensée et se dire “J’observe que j’ai la pensée “C’est sûr, le monde de demain sera terrible””, ou “Je suis en train d’observer que j’ai la pensée “C’est sûr, le monde de demain sera terrible””, ou même “J’observe qu’une part de moi a la pensée “C’est sûr, le monde de demain sera terrible””.

Si une pensée se sur-ajoute comme “Oui, mais c’est vrai, les prédictions du GIEC le disent”, on peut se dire “Cette pensée est peut-être vraie ou pas, elle peut être aidante ou pas. En tout cas, ce qui est certain, c’est que j’observe que j’ai la pensée “C’est vrai””.

Si cela ne suffit pas, on peut prendre le temps de questionner ce qu’on est en train de se dire et se demander “Fait ou Interprétation/croyance” ?

Par exemple, “Vivre sur une planète à +3° sera affreux” : Fait ou Interprétation/croyance ? Certains diront que c’est vrai puisque dit par le GIEC. En réalité, le GIEC fait des prédictions, il ne s’agit donc pas de faits mais de prédictions qui pourront s’avérer justes ou erronées, dans un sens comme dans l’autre d’ailleurs. Ensuite, le GIEC fait des prédictions chiffrées mais ne va en aucun cas dire “Ce sera affreux”. “Ce sera affreux” est donc une interprétation que nous faisons des prédictions chiffrées que nous avons lues.

Si l’on ajoute à “Vivre sur une planète à +3° sera affreux” “Ce sera la guerre entre voisins”, il s’agit d’une croyance sur la manière dont la société va évoluer dans un monde différent de celui dans lequel nous vivons. C’est une croyance et non un fait car nous interprétons le monde à partir de notre vision personnelle et culturelle de ce qui permet de faire société, de ce que sont les relations entre personnes, de ce qu’elles devraient être. Nous projetons notre société actuelle dans un monde différent en oubliant que, au fur et à mesure que l’on avancera dans le temps, la société et les relations de voisinage évolueront. Nous sommes donc bien loin d’un fait.

Il faut remarquer que, dans ce processus, on se détache de la question “vrai ou faux”. Nos interprétations sont peut-être justes, nos croyances sont peut-être réalistes, ou pas. Ce qui va aider à nous apaiser n’est pas de se questionner sur leur véracité mais de remarquer que ce sont des productions de notre esprit et non des faits.

Que veut nous dire cette émotion ?

Maintenant que nous ressentons cette émotion, que nous lui avons fait de la place, que nous avons pu prendre conscience que nos pensées n’étaient que des pensées et pas forcément la vérité, c’est le moment où nous pouvons nous connecter à ce que nos émotions veulent nous dire.

En effet, nos émotions sont toutes porteuses d’un message. Elles parlent de nos besoins non satisfaits, de nos envies, de nos frustrations, de nos peurs, etc. Pour accéder à ce message, il est important d’essayer de ne pas l’obtenir en réfléchissant, car cela mobilise les parties cognitives de notre cerveau. Et nos pensées peuvent nous leurrer alors que nos émotions ne le peuvent pas.

A la place, je vous proposer d’essayer la façon de faire suivante : tout en restant connecté à la sensation corporelle, posez-vous certaines des questions suivantes et laissez émerger la réponse :

  • De quoi as-tu besoin, là, maintenant ?
  • Est-ce qu’il y a un besoin qui n’est pas comblé dans ta vie et quel est-il ?
  • De quoi as-tu envie
  • Qu’est-ce qui te bloque ?
  • Qu’est-ce qui te frustre ?
  • Qu’est-ce qui serait important pour toi à la place ?
  • Si ce besoin était comblé, que se passerait-il pour toi ?

La réponse à ces questions nous permet généralement de prendre conscience de l’intention positive du message envoyé par l’émotion, même si cette émotion est désagréable.

Répondre à notre besoin

Maintenant que nos besoins non comblés ont émergé et sont identifiés, il est maintenant temps de remobiliser notre cerveau cognitif et réflexif afin de voir comment on peut y répondre.

Cela peut se faire en identifiant nos ressources, par exemple en se posant comme questions :

  • Qu’est-ce qui va bien dans ma vie et que je pourrais utiliser ou renforcer ? (ex : ma capacité à prendre soin de moi quand c’est nécessaire)
  • Quelle pratique m’apporte habituellement de l’apaisement et que je pourrais mobiliser ? (ex : le sport, se balader)
  • Quelles sont mes forces sur lesquelles je pourrais m’appuyer ? (ex : capacité d’organisation)
  • Quels sont les liens que je pourrais mobiliser et renforcer ? (ex : les amis, la famille)

Puis en partant de nos ressources, mobiliser notre créativité pour trouver comment nous diriger vers un état où notre besoin serait satisfait. L’important n’est pas que ce besoin soit comblé immédiatement, cela peut prendre du temps, mais de réaliser qu’on a les ressources pour aller vers ce qui est important pour nous et pour se rapprocher de qui on veut être dans le monde. Il s’agit donc plus d’une direction sur laquelle avancer, d’une boussole que d’un objectif à atteindre à tout prix.

Dans ce trajet vers ce qui pourrait répondre à nos besoins, il est probable que l’on bute sur des obstacles externes mais aussi internes. Les obstacles internes peuvent être l’indice qu’il y a quelque chose qu’on a du mal à lâcher. S’interroger alors : Qu'est-ce que j’ai du mal à lâcher et pourquoi ?

En résumé

Les crises écologiques ne sont pas derrière nous. Nos esprits risquent de continuer à être mis à rude épreuve.

Mettre nos pensées et émotions douloureuses sous le tapis est souvent efficace à court terme mais a un effet limité dans le temps. Entretenir l’effet à court-terme est une grosse dépense d'énergie et il peut y avoir un effet boomerang.

Pour aller mieux, il est plutôt conseillé de s'y intéresser avec curiosité en se souvenant de :

  • Se relier à notre corps car comprendre n'est pas ressenti
  • Faire de la place / se laisser traverser par nos émotions désagréables
  • Observer nos pensées pour ce qu’elles sont : juste des pensées
  • Se connecter à ce que ces pensées et émotions disent de nos besoins, de nos envies, de nos frustrations, de nos peurs, etc.
  • Identifier nos ressources existantes ou à développer
  • Mobiliser notre créativité pour trouver une façon de nous diriger vers un état où notre besoin serait satisfait
  • Identifier ce qu'on a du mal à lâcher et pourquoi

Si vos difficultés vous empêchent de bien fonctionner, n’hésitez pas à rencontrer un.e psychologue même ponctuellement.

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